Des chemins de traverse - Prologue-chapitre 2 - extrait
Tiré de mon premier roman « Des chemins de traverse », cet extrait du Prologue, chapitre 2 « Les Landelles », à commenter si cela vous inspire (Gouéno est le petit-fils d'Antouènn, Noirot son chien chargé de surveiller le troupeau de moutons, l'action se passe non loin de la tombe de Merlin, à l'orée nord de la forêt de Brocéliande, fin du printemps 1928) :
Après s’être assuré que le troupeau était bien rassemblé sous l’œil vigilant de Noirot, Gouéno vint s’asseoir, silencieusement, à côté de l’Antouènn, au pied d’un vieux chêne. Pas besoin d’effusions pour vivre intensément la tendre complicité qui émanait du vieil homme. Le garçon reprit la sculpture de son bâton de noisetier à l’aide de son couteau de gabier, précieux cadeau du grand-père maternel. Unique cadeau offert par ce curieux personnage, attachant, bonhomme, dont l’humeur gaie et insouciante tranchait tellement avec l’atmosphère grise et oppressante de la maison familiale. Il exerçait un attrait puissant sur l’esprit éveillé du jeune gars. C’est auprès de lui que Gouéno avait appris les bases du métier de berger : savoir distinguer et reconnaître les animaux, déceler les malades, les boiteux, savoir les soigner, attendre les chaleurs des femelles, surveiller le bélier en rut, les mises bas, les premiers jours des agneaux, savoir quand tondre et savoir maîtriser l’utilisation des forces pour la tonte, savoir vendre la laine, savoir vendre les agneaux pour la boucherie… Apprentissage long et patient.
Et, surtout, Antouènn l’avait peu à peu initié aux arcanes de la nature, à une intime communion avec la Nature. Il lui avait enseigné le soleil et la pluie, il lui avait montré comment percevoir les prodromes d’un changement du temps ; il lui avait appris à repérer les mares et autres retenues d’eau, si importantes pour le troupeau, les ruisseaux, les sources ; il l’avait sensibilisé au mystère de l’eau, à ses chants, ses jaillissements, ses miroirs, ses colères.
Ils s’étaient exercés à écouter le ramage des oiseaux, à les identifier et à les imiter ; ils avaient observé, ensemble, les prédateurs et toute la faune, les arbres, les arbrisseaux, les baies sauvages, les herbes médicinales, les fleurs, les racines comestibles, les champignons.
Au pied du vénérable chêne, vibrant de toute l’énergie puisée dans la terre nourricière, Antouènn n’avait pas hésité à personnifier la Nature : une Femme bien sûr, belle et secrète, délicate et autoritaire, tout à la fois Mère, Amante et Fille.
Tout en continuant à graver d’imaginaires symboles dans la chair de son bâton, Gouéno recueillait au plus profond de son être les dires de son grand-père. Ils ne perçurent ni l’un ni l’autre, une étrange et douce mélopée issue d’un trou de mulot enchâssé par les racines, mélopée à trois voix d’hommes, reprise en écho des propos d’Antouènn :
La Mère qui conçoit sans cesse,
qui met au Monde,
qui nourrit à la douce chaleur de son sein,
qui parfois furieusement fustige…
tendre et multiple et rémanente énergie.
L’Amante, fille d’Ève,
à l’aurore dévoilant lentement,
lascivement, tous ses charmes,
ardente étoile à l’apogée de la vie,
fraîcheur pure d’une vesprée apaisée…
abyssale et sensuelle et divine énergie.
La Fille,
gaie,
insouciante,
primesautière,
capricieuse,
fragile,
infatigable,
rebelle,
à protéger contre les appétits inconséquents de l’être humain…
vigoureuse et délicate énergie de l’éternité.
Des infinis de femmes matrices de la Femme
matrices de la Nature
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